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Un monsieur flouté est allongé sur un canapé. Au premier plan, on entraperçoit une partie du corps d'un praticien, lunettes à la main, avec un cahier posé sur ses genoux.
Des dizaines de milliers de psychologues réfèrent tout ou partie de leur pratique clinique à l’un ou l’autre des nombreux courants associés à la psychanalyse. Grusho Anna/Shutterstock

Quelle place pour la psychanalyse à l’université ?

La psychanalyse, discipline inventée voici plus d’un siècle par Freud, a, dès le départ, fait l’objet de vives critiques. Elle est toutefois parvenue à se frayer un passage dans le monde universitaire, notamment en psychologie où elle sert de référence à certains chercheurs et cliniciens. Avec l’évolution du champ de la santé mentale, la place qu’elle occupe ne cesse d’être remise en cause : est-elle vraiment cette pseudo-science rétrograde, aux conséquences désastreuses ?

La psychanalyse accablée ?

Dans l’hebdomadaire L’Express du 28 mars 2024, est publiée une enquête à charge dans laquelle ont été collectés des témoignages d’étudiants et d’enseignants qui suggèrent que la psychanalyse académique serait à la dérive : homophobie, vision rétrograde de l’autisme, rapports déontologiquement questionnables entre enseignants-analystes et patients-analysants… Comment ne pas être estomaqué par ces constats ?

La psychanalyse reste un objet protéiforme qu’il est difficile de cerner. De nombreuses représentations plus ou moins conformes circulent à son sujet. En tant que pratique clinique, elle correspond à l’un des grands courants de psychothérapie, même si de nombreux psychanalystes ne se rangent pas dans cette catégorie.

Une référence à des processus inconscients qui surdéterminent nos conduites

La « cure type » idéale implique plusieurs séances hebdomadaires où l’analysant est invité à parler de tout ce qui lui vient, écouté par un analyste qui se laisse imprégné par ces paroles et leurs associations.

Mais au-delà de cet aspect technique, la psychanalyse implique une référence à des processus inconscients qui surdéterminent nos conduites. Elle accueille donc ceux qui veulent mieux se connaître autant que ceux qui expriment leurs souffrances psychiques par le biais de symptômes récalcitrants.

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Ceux qui la pratiquent ont des formations hétéroclites, du fait de la grande diversité des écoles et du manque de réglementation. Il est aisé de se revendiquer de la psychanalyse sans véritablement la représenter. Difficile dans ces conditions d’être clairement identifiable par le public… et les critiques.

Mais, en dehors de quelques milliers de professionnels dont la plaque mentionne uniquement leur affiliation à la psychanalyse, ce sont des dizaines de milliers de psychologues qui réfèrent tout ou partie de leur pratique clinique à l’un ou l’autre des nombreux courants associés à la psychanalyse.

Désormais, un nombre limité de masters

La situation est-elle plus claire entre les murs de l’institution universitaire ?

L’article de L’Express décrit une psychanalyse omniprésente dans les facultés de psychologie françaises. Cette hégémonie était effective lorsque l’université française a accueilli vers 1950 une psychologie bicéphale, avec une face expérimentale et un visage de clinique psychanalytique. Les conflits entre ces deux tendances furent récurrents et l’autorité des psychanalystes s’en est trouvée fragilisée.

Le paysage a ainsi complètement muté depuis plusieurs décennies, avec notamment une pluralité d’offres de formations. Toutes les sous-disciplines de la psychologie développent un versant « clinique » qui permet à leurs étudiants de trouver leur place sur le marché de l’emploi, les postes dans le secteur de la recherche et de l’académie étant rares et précaires.

Si la clinique psychanalytique se nourrit de l’ensemble des sciences humaines, des psychothérapies se voulant plus « structurées » et avec une référence plus prononcée à la méthode expérimentale se présentent comme des concurrents de plus en plus crédibles.

Loin de l’hégémonie d’antan, on compte seulement une dizaine de masters de « Psychopathologie clinique psychanalytique » dans toute la France. Toutefois, en dehors de cette nomenclature restrictive, des enseignants-chercheurs se référant à la psychanalyse se retrouvent dans la plupart des universités, mais de plus en plus fréquemment en minorité.

Critiquer la psychanalyse, oui ! L’évincer, non !

La situation est telle que de nombreuses voix alertent sur le danger de la disparition imminente de la psychanalyse à l’université, dans un contexte international de management accru du soin. Car s’il est légitime de critiquer cette discipline, vouloir l’évincer complètement est-il raisonnable ? Oui, pour ceux qui, sur la base de telles enquêtes d’ampleur modeste, s’inquiètent du maintien de cette doctrine qui serait une spécificité honteuse du paysage académique français. Non, pour les instances d’évaluation des laboratoires et des offres de formation universitaires, qui authentifient les contributions de la psychanalyse aux connaissances en psychologie et au-delà.

Cette discipline ne se contente pas de surfer sur son aura, dont on peut estimer l’engouement par le plébiscite du public pour la série En thérapie qui suit les tribulations d’un psychanalyste. Au contraire, elle ne cesse d’évoluer !

Ses apports aux neurosciences, à la psychologie clinique et à la société

Confrontées aux exigences croissantes afin que les soins recommandés incluent uniquement des approches empiriquement fondées, les psychothérapies structurées d’inspirations psychanalytiques ont rattrapé leur retard. Elles démontrent désormais leur efficacité égale, voire supérieure, aux autres approches pour la plupart des troubles psychiatriques, tels que la dépression.

De plus, des approches expérimentales s’appuyant notamment sur les neurosciences permettent de vérifier la pertinence de notions psychanalytiques fondamentales. Plus aptes au compromis, les « psychologues cliniciens » formés à l’université semblent accepter de concilier psychanalyse et recherche scientifique.

Plus généralement, Alain Ducousso-Lacaze et Pascal-Henri Keller ont récemment dirigé un ouvrage sur « ce que les psychanalystes apportent à l’université », après qu’un semblable examen ait été mené pour les apports de la psychanalyse à la société.

Les domaines sont nombreux où les recherches en psychologie inspirées par la psychanalyse ont apporté de l’intelligibilité à des situations complexes et ont ouvert de nouvelles voies thérapeutiques, là où le « tout biologique » apparaît comme une impasse. Pourtant, on ne cesse lui reprocher d’être figée dans une pensée d’un autre temps, tout juste bonne à s’appliquer dans la Vienne du temps de Freud. Qu’en est-il vraiment ?

Une discipline qui se positionne sur les questions contemporaines

Selon l’enquête dans L’Express, la psychanalyse est suspecte d’adopter des positions inadéquates quant aux questions contemporaines sur le genre, la sexualité et les neuroatypicités telles que l’autisme. Les enseignants-chercheurs se revendiquant de la psychanalyse ne cessent pourtant d’accepter cette « épreuve du temps présent ».

De nombreuses revues scientifiques en psychologie consacrent des dossiers à ces sujets d’actualité (et à d’autres tels que la crise environnementale), avec de belles démonstrations de la capacité des psychanalystes à se positionner sur ces questions complexes.

Pas plus qu’une autre, la psychanalyse ne saurait se complaire dans le dogmatisme : son épistémologie est plus finement décrite par « un processus auto-méta », c’est-à-dire une dynamique qui combine réflexivité et capacité à se décaler des savoirs trop autoritaires. En somme, que ce soit le psychanalyste, son patient ou le chercheur, chacun est invité à s’interroger sur ce qui le conduit à penser et à agir de telle ou telle manière, et à prendre le recul suffisant pour envisager d’autres modes de fonctionnement.

Aussi, quelques témoignages sélectifs d’étudiants ou d’enseignants sont insuffisants pour taxer la psychanalyse universitaire d’homophobe ou de rétrograde. L’assimilation de Freud (qui n’a rien dit des autistes) à Bettelheim (un pédagogue lui-même fortement critiqué par les psychanalystes) est un amalgame grotesque. Les personnes autistes ont enseigné aux cliniciens que leur souffrance ne s’inscrivait pas nécessairement dans la trame de la psychose.

Contribuer à faire reconnaître différentes formes d’autisme

Ainsi, le professeur de psychologie et psychanalyste Jean-Claude Maleval développe, depuis 20 ans, l’idée d’une « structure autistique », qui ne fut identifiée par aucune des figures éminentes de la psychanalyse, mais bien par les cliniciens qui ont pris le temps d’accueillir ces subjectivités particulières.

Ces recherches aboutissent à faire reconnaître les formes équilibrées d’autisme « ordinaire » et à développer des pratiques cliniques centrées sur les affinités subjectives, ces intérêts spéciaux qui, adéquatement accueillis, peuvent servir de tremplins pour d’autres compétences.

Des travaux empiriques dans les règles de l’art viennent valider l’intérêt d’accompagnements inspirés par la psychanalyse pour des sujets autistes en souffrance. Dès qu’on y regarde de plus près, les études scientifiques mettent à mal ces clichés disqualifiant la psychanalyse dans son abord des questions qui agitent actuellement nos sociétés.

Université et psychanalyse : un rapport « positivement conflictuel »

Le consensus est que l’université ne forme pas des psychanalystes : Freud lui-même s’accordait sur cette impossibilité. Si la psychanalyse n’échappe pas au risque d’évoluer en idéologie doctrinaire, son rapport « positivement conflictuel » avec l’université semble permettre un enrichissement réciproque.

Des garde-fous sont certainement nécessaires, mais les procédures d’évaluation des formations et des activités scientifiques ne jouent-elles pas déjà ce rôle ? Qu’apporte véritablement un discours critique dénonçant les méfaits supposés de la psychanalyse, qui se passerait lui-même d’un examen précis et systématique de la situation ?

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