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L'entrée du laboratoire national de l'accélérateur Slac à l'université de Stanford.
SLAC Entrance. Wikimedia Commons, CC BY

Brevets : les États-Unis restent le cerveau du monde

Le paysage économique mondial a fondamentalement évolué depuis la chute du mur de Berlin. À la suite de cet événement historique, un politiste américain, Fukuyama, prédisait la fin de l’histoire. La marche de la mondialisation économique allait se poursuivre sans rencontrer d’obstacles majeurs. Trente ans et un virus mondial plus tard, la tonalité a changé. Après le paradigme de l’irrésistible mondialisation, voici venu le temps d’une préoccupation renouvelée pour les risques liés à une trop grande interdépendance économique.

Ce changement a suscité un débat sur la souveraineté technologique, un concept qui fait référence à la capacité d’un pays à maîtriser et fournir les technologies essentielles à sa compétitivité et à son bien-être. La souveraineté technologique diffère de l’autarcie nationale ou de l’autosuffisance technologique. L’objectif n’est pas de développer toutes les technologies dans son propre pays, mais – lors de l’acquisition de technologies à l’étranger – d’éviter de dépendre unilatéralement d’un pays en particulier.

La nécessaire prise en compte de la souveraineté technologique est devenue évidente lors des récentes crises économiques et politiques, qu’il s’agisse des conséquences du Covid, des problèmes d’approvisionnement en semi-conducteurs. Il en a été de même avec les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine en matière de haute technologie ou la guerre en Ukraine.

Des partenaires fiables

Face à ces préoccupations en matière de souveraineté, les décideurs politiques cherchent à réduire la dépendance technologique et, pour cela, recherchent des informations sur la position relative de leur pays par rapport aux autres régions du monde. Le but ? Reconsidérer certaines relations commerciales pour privilégier les échanges avec des partenaires à la fois fiables sur le plan géoéconomique et partageant les mêmes valeurs. Encore faut-il posséder de bonnes informations sur la réalité de l’innovation dans les différentes zones du monde.


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Pour cela, nous avons analysé la souveraineté technologique, en décomposant l’activité mondiale d’invention en quatre régions économiques, à savoir l’Europe, les États-Unis, la Chine et le Japon avec la Corée. En examinant des milliers de demandes de brevet du système international des brevets (PCT) entre 2000 et 2020, nous avons pu analyser comment le positionnement mondial de ces régions a changé au cours des deux dernières décennies.

Plus précisément, nous avons examiné la force et l’orientation de l’influence des inventions au niveau mondial et bilatéral. Pour ce faire, nous avons développé une mesure qui utilise les citations générées par les rapports de recherche internationale (ISR) pendant la phase internationale des demandes PCT. Cela nous permet de calculer dans quelle mesure les inventions dans une zone géographique constituent la base d’inventions dans d’autres zones.

Le système international des brevets PCT est administré par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle des Nations unies et assure la protection de la propriété intellectuelle dans 157 pays.

Quasi triplement des demandes

L’utilisation du système PCT a considérablement augmenté, passant de 97 414 demandes en 2000 à 254 008 en 2020. Cette croissance est fortement influencée par les pays d’Asie de l’Est, la Chine étant en tête des dépôts depuis 2019. Le déplacement de l’activité d’innovation de l’ouest vers l’Asie de l’Est est clairement évident. En 2000, plus des trois quarts des demandes PCT provenaient encore des États-Unis et d’Europe. 20 ans plus tard, plus de la moitié des demandes PCT mondiales provenaient de Chine, du Japon et de Corée.

Toutefois, l’augmentation du nombre de dépôts de brevet ne mesure que partiellement l’influence réelle des inventions. Notre recherche s’est concentrée sur les données de citation des demandes PCT entre 2000 et 2017. Les résultats obtenus de cette façon relativisent les conclusions précédentes. Tout d’abord, cette méthode indique que les États-Unis conservent leur statut de première superpuissance technologique, exerçant une forte influence mondiale.

D’abord, en étudiant la fréquence à laquelle une invention brevetée est reprise par une région différente, comme indicateur de l’influence mondiale moyenne, nous constatons que les États-Unis occupent la position la plus forte. Par rapport aux brevets européens, les inventions américaines sont presque deux fois plus souvent reprises par une autre région. Par rapport à la Chine, au Japon et à la Corée, l’avantage américain ressort encore plus important.

Dépendances chinoises

Ensuite, afin de mesurer l’influence bilatérale, nous comptons la fréquence à laquelle les brevets d’une région sont utilisés comme base pour des inventions ultérieures par la région partenaire considérée et vice versa. Si les brevets d’une région sont relativement plus fréquemment utilisés, celle-ci exerce alors une influence bilatérale plus forte.

Là encore, sur ce critère, les États-Unis dépassent toutes les autres zones géographiques. Plus précisément, ils occupent une position de force par rapport aux trois autres régions considérées. Malgré une intégration étroite entre les États-Unis et l’Europe en matière de flux bilatéraux de connaissances, l’Europe affiche systématiquement un niveau d’influence inférieur à celui des États-Unis.

Même si la Chine a déposé le plus grand nombre de demandes de brevet ces dernières années, elle reste toujours dépendante de toutes les autres zones géographiques. Le Japon et la Corée, en revanche, occupaient auparavant une position de premier plan, mais ont vu leur influence bilatérale moyenne diminuer au fil du temps.

L’Europe est relativement forte dans les technologies clés, même si les États-Unis peuvent également revendiquer la première place dans ce domaine. Il s’agit de technologies tournées vers l’avenir – telles que les matériaux avancés, la biotechnologie industrielle et la microélectronique – qui sont particulièrement importantes pour le développement économique futur. Pour les inventions dans ces technologies, l’Europe atteint une influence mondiale supérieure à la moyenne mondiale.

Implications politiques

Ces résultats devraient inciter les décideurs politiques américains à défendre la position forte qui demeure la leur. Si le pays n’est plus en tête en matière de dépôts de brevets, il reste dominant en ce qui concerne l’influence mondiale de ses inventions. Les décideurs politiques européens pourraient se concentrer sur la promotion des technologies clés, un domaine dans lequel la région a déjà acquis un avantage relatif. Dans le même temps, l’Europe devrait tout mettre en œuvre pour réduire sa dépendance future aux innovations chinoises.

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Les événements mondiaux actuels constituent un défi pour les décideurs politiques chinois. Si la Chine a amélioré son influence bilatérale dans les années 2010, la croissance de celle-ci a ralenti et est désormais similaire à celle des États-Unis et de l’Europe. Nos résultats suggèrent que la Chine n’est pas sur le point de dépasser les États-Unis en tant que superpuissance technologique.

Enfin, le Japon et la Corée ont apporté d’importantes contributions à l’innovation mondiale au cours des décennies précédentes. Cependant, surtout au Japon, les innovations les plus récentes ne se sont pas encore traduites de manière convaincante en influence internationale vis-à-vis de ses partenaires. Les décideurs politiques nippons devraient donc s’y atteler au plus vite, d’autant que l’économie de l’archipel est confrontée aux défis liés au vieillissement de la population.

Quelles que soient les décisions finalement prises par les différents gouvernements, notre étude rappelle que même si les États-Unis défendent leur position de leader, la Chine affiche la plus forte augmentation de son influence mondiale au cours des deux dernières décennies.

Si l’intégration économique mondiale sans contrainte a perdu de sa popularité, la collaboration entre partenaires partageant les mêmes valeurs et fiables sur le plan géoéconomique permet toujours aux pays de bénéficier de leur inclusion dans les réseaux mondiaux d’innovation. Toutefois, les dépendances liées à la coopération avec des pays moins fiables devraient être réduites au fil du temps, tout en renforçant la capacité inventive au niveau national ou parmi des partenaires fiables.


Cet article est co-écrit par Philipp Boeing (Goethe University, Frankfurt and ZEW – Centre for European Economic Research, Mannheim).

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